Dieu créa La mythologie Bretonne 1ier partie.

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La Fuite du roi Gradlon selon Évariste-Vital Luminais, vers 1884, conservé au musée des beaux-arts de Quimper. Cette peinture représente une célèbre scène de la légende de la ville d’Ys.

La mythologie bretonne constitue le fonds des croyances de la Bretagne.

Les peuples celtes d’Armorique connaissaient probablement avec leur mythologie celtique plusieurs divinités et créatures spécifiques associées à des cultes de la nature, dont on retrouve quelques traces chez certains saints bretons. Ce fonds mythologique qui était commun aux peuples des deux côtés de la Manche (notamment le culte des Dioscures ou Jumeaux divins) est accepté par les Romains puis nettement christianisé, provoquant la perte irrémédiable des grands récits et la destruction ou la conversion des lieux de culte païens. Le peuplement brittonique de l’Armorique explique la permanence de cultes nationaux comme les stations de la grande Troménie de Lokronan-Koad-Nevet ou le circuit dit Tro-Breizh. Le mythe du roi Brutus est promu pour attribuer des origines troyennes aux Bretons, avant d’être concurrencé par celui de Conan Mériadec au xe siècle, qui explique la christianisation de la région et sa langue. Ces récits transposent les récits de peuplement de la Bretagne ou Ledaw (Litau, Letavia). Les installations de fédérés brittoniques depuis la Grande-Bretagne à partir du ive siècle, succédant aux royaumes des deux rives (Gerontius), voient les mêmes croyances chrétiennes s’implanter de part et d’autre de la Manche, avec un probable retour de la matière de Bretagne. La légende arthurienne est fortement diffusée dans le duché de Bretagne au Moyen Âge, à travers notamment les poèmes de Marie de France. Les grandes familles nobles des Laval et des Rohan revendiquent la possession de terres arthuriennes en Bretagne à la fin du xve siècle, époque où figure la première trace écrite de la légende de la ville d’Ys.

Après une longue période de désintérêt pour les croyances bretonnes, au xixe siècle, de nombreux érudits dont certains celtomanes défendent l’identité celtique de la Bretagne, par probable réaction à la perte d’autonomie de la région après la Révolution Française de 1789. Des toponymes légendaires s’ancrent définitivement dans le territoire. La Brocéliande des romans arthuriens est placée dans la forêt de Paimpont, avec le tombeau de Merlin et le Val sans retour. La ville engloutie d’Ys est imaginée au large des côtes de Douarnenez. La publication du Barzaz Breiz de La Villemarqué en 1839 entraîne une longue vague d’intérêt pour le « légendaire celtique », et contribue à forger l’image de la Bretagne comme « terre de légendes » pittoresque. De nombreux collectages du folklore local sont effectués jusqu’au début du xxe siècle, aussi bien en haute qu’en basse Bretagne, ce qui permet de préserver un grand nombre d’histoires mettant en scène des fées, des lutins et d’autres créatures ou personnages tels que Merlin. Paul Sébillot, François-Marie Luzel ou encore Anatole Le Braz mettent en lumière l’existence de croyances paysannes autour d’une multitude de fées bénéfiques ou maléfiques, dont la plus célèbre est Dahut, et de lutins plus ou moins serviables désignés plus tard sous l’unique nom de korrigan. La Bretagne compte aussi une personnification de la communauté des morts l’Ankou. Le roi Marc’h aux oreilles de cheval, qui marque la toponymie de la Cornouaille, est connu depuis les romans arthuriens du Moyen Âge. Quelques récits mentionnent des géants et des créatures nocturnes de type appeleur, comme le Bugul-noz. Le tourisme et la littérature assurent désormais un net succès à ces nombreuses histoires préservées par les collectes, mais victimes d’un syncrétisme parfois important.

Définition

L’emploi du nom de « mythologie bretonne » demande explication. Françoise Le Roux et Christian-Joseph Guyonvarc’h tiennent à différencier la mythologie proprement dite des « quelques traces qui en subsistent dans le folklore breton ». De même, Claude Sterckx parle des « débris mythologiques subsistant dans le folklore breton », précisant que la Bretagne « n’a guère conservé de textes mythologiques au sens plein du terme ». L’existence d’éléments réellement issus de la mythologie celtique parmi le corpus des collectages bretons a longtemps été considérée comme impossible, en raison notamment des inventions et des recompositions des celtomanes parfois motivées par le nationalisme breton, et surtout de la christianisation. Le conte et « presque tout ce qui est légendaire en Bretagne » est christianisé, selon Le Roux et Guyonvarc’h. Cependant, ce point de vue excessif[Interprétation personnelle ?] fait l’impasse sur des faits qui ont été insuffisamment étudiés (et que ces auteurs ont négligés, comme la méthodologie appropriée). des éléments (en particulier concernant Merlin6, le Tadig Kozh, l’Ankou, personnification des morts, et même quelques caractéristiques attribuées à sainte Anne) se rattachent à la mythologie celtique bretonne, car ils présentent des points communs avec la mythologie de l’Irlande et du Pays de Galles8. En Bretagne comme ailleurs, le folklore représente « l’aboutissement du mythe ». Une autre différence importante provient du fait que le mythe est transmis par les érudits, tandis que le folklore l’est par le peuple, souvent de manière orale. Un grand nombre d’éléments appartient au folklore breton et non à la mythologie, tels que les Korrigan ou encore les lavandières de nuit. Ce folklore breton représente « ce qui reste du mythe ». Inégalement christianisé, il manque parfois de cohérence.

Histoire

iersiècle : Conception de la statue gallo-romaine de Minerve, déesse du Ménez-Hom.
iiie – vesiècle : Installations brittoniques depuis la Grande-Bretagne et organisation de la Brittia celto-romaine. Christianisation et possible implantation du cycle arthurien.
vesiècle : Erosion et disparition des cultes non-chrétiens
ixesiècle : Propagation écrite du mythe du roi Brutus
xiesiècle : Propagation de la légende Conan Mériadec, à fondement historique.
Fin xiiesiècle : Lais bretons de Marie de France, romans de Tristan et Iseut
1467 et 1475 : Revendication de terres arthuriennes par les Lavalet les Rohan
1547 : Premier témoignage de la présence de fées en Bretagne, par Noël du Fail
1749 : Première mention de « génies » et de « folets » (lutins) par Jacques Cambry
1839 : Première édition du Barzaz Breiz
1844 : Première édition du Foyer Bretond’Émile Souvestre
1870 : Publication des Contes Bretonsde François-Marie Luzel
1880 : Recul des croyances aux fées / lutins
1880-1883 : publication des Contes populaires de Haute-Bretagnede Paul Sébillot
1893 : Première édition de La Légende de la mortd’Anatole Le Braz

Repères temporels, historiques et mythologiques

Comme l’ensemble de la mythologie celtique, celle de la Bretagne possède de lointaines sources indo-européennes. Son développement et l’intérêt qu’elle suscite semblent être le résultat de la recherche des origines par sa population, notamment après la fin de l’indépendance de fait de la province, sur la période qui suit l’union de la Bretagne à la France, et surtout après la Révolution française et les troubles qui en découlent : la trajomanie est remplacée par la celtomanie. D’après Michel Le Bris, « si le rapport à l’imaginaire prend en Bretagne des proportions extraordinaires, c’est sans doute dû au christianisme celtique et au fantasme des origines ». L’usage et la diffusion des mythes en Bretagne ont toujours été étroitement liés à la question de l’identité et du nationalisme.

Cultes et croyances du paganisme antique  

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Brigitte, déesse du Ménez-Hom proche d’Athéna, œuvre d’art gallo-romaine du ier siècle.

Au Néolithique, les gravures présentes sur les mégalithes laissent à penser qu’une déesse mère (ou plusieurs) est vénérée, probablement dans un rôle de déesse associée à la terre et aux esprits des défunts du clan. Les peuples celtes n’ayant laissé aucun écrit protohistorique, peu d’éléments de la mythologie des Armoricains antiques sont connus. Les trouvailles archéologiques permettent des suppositions. Le culte du cheval et du guerrier semble remplacer peu à peu celui de la déesse mère. Des statuettes d’argile blanche découvertes au xixe siècle et une statuette en bronze retrouvée à Baye laissent supposer la vénération d’une déesse écuyère, peut-être une variante locale d’Épona. De manière générale, les Celtes armoricains attribuent des esprits aux arbres, rochers et rivières, auxquels ils rendent des cultes. Leurs croyances incluent vraisemblablement une divinité dite du cavalier à l’anguipède, parmi de très nombreuses autres (une dans chaque localité ou presque). Le culte des animaux et des têtes humaines, la croyance en la vie après la mort, voire la métempsycose, sont présents comme en témoignent le très grand nombre d’objets enterrés dans les tombes. Le panthéon des dieux romains est introduit après la guerre des Gaules : une statuette antique du dieu Pan est notamment retrouvée à Rennes. Dans un premier temps, les Romains semblent faire preuve de tolérance envers les divinités indigènes. À l’époque gallo-romaine, les Armoricains vénèrent les sommets (comme le Menez Bré) et les eaux. Des statuettes de déesses nues, de dieu au maillet, d’un dieu cornu retrouvé à Blain et d’un dieu ithyphallique découvert à Plougastel-Daoulas prouvent une fusion progressive des panthéons celte et romain. La déesse gallo-romaine nommée Brigitte, probablement vénérée sur le Ménez-Hom au ier siècle, rappelle fortement la déesse grecque Athéna.

Mythes de l’origine romaine et troyenne des Bretons

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Imprimé de l’Histoire de Conan Mériadec publié en 1664.

Une idée fausse pourtant très commune est de croire que les documents relatifs à des « mythes bretons » au début du Moyen Âge contiennent exclusivement des récits « celtiques ». Les documents écritsNote  s’attachent plutôt à attribuer une origine troyenne ou romaine aux Bretons, à partir du ixe siècle. Ainsi, le mythe du roi Brutus de Bretagne, un Romain, arrière-petit-fils d’Énée expulsé d’Italie, venu fonder une « nouvelle Troie » (il devient le premier « roi de Bretagne »), vise probablement à favoriser l’intégration de cette province dans l’Empire romain, avec un soutien actif des autorités romaines pour le diffuser (à moins qu’il ait été composé au ixe siècle par des clercs ou des laïcs bretons lecteurs de Virgile). Ce mythe des origines troyennes n’est abandonné qu’au xvie siècle. Aux xie siècle et xiie siècle, il est concurrencé par (ou fonctionne avec) le mythe de Conan Mériadec. Ce récit attribue lui aussi une ascendance romaine aux Bretons, et s’évertue à expliquer la constitution de leur territoire, de leur langue, ainsi que l’implantation du christianisme par la venue de ce dux bellorum et de ses troupes depuis la Grande-Bretagne,. Conan Mériadec a probablement remplacé Brutus pour les besoins du Christianisme, le nom de « Brutus » dévoilant bien trop ses origines païennes. Le mythe de Conan Mériadec semble s’être perpétué au fil des siècles à travers la légende locale des « aboyeuses » de Josselin, des lavandières condamnées à s’exprimer par des aboiements certains jours de l’année, pour avoir insulté la Vierge. Ces aboiements seraient à relier au récit selon lequel Mériadec, accompagné de guerriers dont le nom renvoie à celui du chien, aurait fait couper la langue des femmes du territoire conquis. Une telle mutilation vise à empêcher les femmes de transmettre leur langue à leurs enfants, au profit de celle des envahisseurs. L’origine des Bretons depuis la Grande-Bretagne (historiquement attestée) est combattue par Bertrand d’Argentré, qui leur défend une origine gauloise dans son Histoire de Bretagne en 1582, précisément pour éloigner les prétentions des Anglais sur la Bretagne. De même La Borderie, légitimiste, s’efforcera de nier toute historicité à Conan Meriadec : les Bretons devaient nécessairement être arrivés en Bretagne après l’installation des Francs. Il a fallu les travaux de Léon Fleuriot pour rétablir la chronologie réelle et montrer l’historicité de Conan.

Christianisation

Il est très probable que le christianisme ait fait disparaître la plus grande partie des traditions orales véritablement rattachées à la mythologie celtique en Bretagne, tout comme la conversion de Rome en a effacé les traditions orales païennes. Au ve siècle, les premiers saints bretons sont attestés, probablement du fait que de nombreux clercs organisent les mouvements migratoires entre la Grande et la Petite Bretagne. Le réseau des paroisses est déjà dense sur le territoire armoricain au vie siècle. Mais la majorité des noms des fondateurs éponymes sont ceux de laïcs.

Jean Markale défend une théorie selon laquelle les migrants chrétiens venus de Grande-Bretagne à partir du ive siècle ont imposé leur religion à la population locale largement païenne, créant des heurts parfois violents : « on peut dire que le christianisme, sous sa forme romaine [….] s’est livré au génocide culturel de la Bretagne, en faisant le vide et en détruisant tout ce qui pouvait rattacher les Bretons à leurs racines authentiques ». Cependant, les affirmations de Markale ont depuis été nuancées, sinon discréditées. Pour Ferdinand Lot et Jacques Le Goff, aucun culte non chrétien n’a pu survivre sur le territoire breton après le ve siècle, un avis que rejoignent Françoise Le Roux et Christian J. Guyonvarc’h. Ils ajoutent aussi que « personne n’a les moyens de répondre quant à la nature de la transmission orale et écrite des mythes celtiques en terre brittonique. En Irlande, l’Église s’est identifiée à la culture nationale, confondue avec le christianisme, et elle l’a assez aisément maintenue. En Bretagne au contraire, l’Église a vu dans le folklore la survivance d’un esprit préchrétien, qu’elle s’est efforcée d’annihiler ou de contrebattre pour imposer un catholicisme formel sans nulle trace de déviance particulariste. Elle n’y est jamais complètement parvenue. ».

Bernard Sergent estime au contraire que des mythes et légendes issus de la tradition celtique ont survécu en Bretagne au moins jusqu’au xiie siècle, époque où ils servent de source d’inspiration à Marie de France. La présence d’éléments très nettement érotiques dans certaines églises et sur des mégalithes laisse entrevoir une certaine tolérance de ces autorités religieuses vis-à-vis de quelques croyances païennes. De même, Michel Le Nobletz cite au début du xviie siècle un culte païen du soleil, localement nommé Doue Tad (soit Dieu père) sur l’île de Sein. Pour Gwenc’hlan Le Scouëzec, la persistance de rites non chrétiens ou partiellement christianisés, tels que les prières en extérieur, prouve que l’Église « n’a jamais eu le monopole du sacré en Bretagne ».

Croyances christianisées

Il est indéniable que des croyances ont été largement transformées, des personnages mythologiques bretons combattus ou changés par la christianisation. Les Vitae des saints bretons des débuts du Moyen Âge contiennent des éléments étrangers au christianisme, hérités de l’Antiquité, en particulier l’intervention de géants. Nombre de saints bretons n’ont jamais été reconnus officiellement par l’Église catholique, témoignage de leurs origines païennes. Ce qui n’a pas empêché les Bretons de les vénérer, de leur ériger des églises ou des chapelles. Ainsi, sainte Onenne, vénérée à Tréhorenteuc, proviendrait du mythe celtique de la femme-cygne et de la déesse Dana, avant que le clergé ne la change en gardienne d’oies.

Les fées bretonnes sont très probablement issues de déesses païennes antiques dont le nom s’est perdu avec le temps. Elles se trouvent christianisées, puisque les fées des eaux foncièrement bénéfiques sont assimilées à la Vierge Marie. Les autres sont diabolisées sous forme de lavandières de nuit ou de dames blanches. Les dames blanches, revenantes parfois vindicatives, sont vraisemblablement imaginées dans le but d’éloigner les chrétiens des fontaines où étaient jadis rendus les cultes aux fées Certains récits content des histoires de fées condamnées à partir : la fée des houles habitant la grotte du Bec du Puy aurait disparu quand l’Église s’est opposée aux offrandes qui lui étaient faites. De même, bon nombre de lieux sont dédiés à une Vierge ou à une Sainte dont les caractéristiques renvoient nettement aux fées : celles de Guipavas et de Lannédern sont créditées du pouvoir de submerger les terres pour punir les hommes. Certaines plantes et des fruits traditionnellement associés aux fées, comme l’aubépine et la verveine, reçoivent des noms chrétiens. Cependant, la facilité avec laquelle circulent les récits de fées – des récits universels en Europe – leur permet de subsister. En 1547, Noël du Fail évoque la présence de fées dans les fontaines bretonnes, prouvant que cette croyance reste vivace. Son témoignage forme aussi la plus ancienne attestation de la présence des fées en Bretagne.

La légende de la ville d’Ys représente un autre ancien mythe celtique dont la christianisation est presque totale. Seuls d’infimes éléments rattachés à la mythologie originelle y subsistent. Lorsque le mythe de la submersion d’Ys est évoqué pour la première fois par écrit au xve siècle, grâce à Pierre Le Baud, il s’agit déjà d’une ville sombrant dans le péché et subissant une punition divine (chrétienne). Au xviie siècle, la version « classique » de cette histoire est celle qui fait de Dahut, probable ancienne figure celtique, une pécheresse impudique qui doit être châtiée. Selon Le Roux et Guyonvarc’h, « l’hagiographie a affadi et édulcoré le thème mythique celtique d’une manière si complète que tout ce qui faisait sa raison d’être a disparu, et plus ou pire encore, sa finalité profonde a été radicalement transformée » : les habitants d’Ys sont punis en raison de leur paganisme.

Destruction de lieux de culte païens

Selon Françoise Morvan, une particularité des lieux de cultes chrétiens en Bretagne semble prouver la volonté d’élimination des croyances païennes. Nombre de chapelles et d’églises ont été bâties près de fontaines, probablement pour lutter contre les croyances aux créatures bénéfiques des eaux. Si les arbres et les pierres auxquels des cultes étaient rendus se montrent assez faciles à éliminer, Paul Saintives évoque les difficultés posées par les cultes aux fontaines et aux rivières, ces dernières ne pouvant pas être détruites. Plusieurs fontaines bretonnes sacrées semblent avoir disparu, ce qui expliquerait le nombre de toponymes du type « fontaine blanche » dans des lieux pourtant sans fontaine.

La matière arthurienne au Moyen Âge

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Manuscrit anonyme du Lancelot-Graal (vers 1220), conservé dans une bibliothèque municipale de Rennes.

Léon Fleuriot postule au contraire que les migrants venus de Grande-Bretagne à partir du ive siècle ont apporté avec eux des traditions orales, notamment sur la légende arthurienne, qui ont trouvé en Armorique un terrain favorable à leur diffusion. Le mythe arthurien est probablement déjà promu en Grande-Bretagne pour résister aux envahisseurs Saxons. Pour Philippe Walter, après la chute de l’Empire romain, « elle [la Bretagne] fut pour ainsi dire receltisée par les vagues d’immigrants brittoniques venus s’installer sur son sol… Et c’est là que réside peut-être une explication du mystère de Brocéliande. Cette vieille contrée celtique continentale se trouve réinvestie au Moyen Âge par la mémoire celtique insulaire… Dès lors, les antiques vestiges de la mémoire celtique et préceltique continentale se sont trouvés en consonance avec l’imaginaire arthurien brittonique ». Le mythe arthurien est peut-être déjà présenté comme une fiction, mais il permet une continuité culturelle sur plusieurs siècles entre les migrants venus de Grande-Bretagne, et les Bretons armoricains déjà installés.

Quoi qu’il en soit, la région joue un rôle majeur dans la diffusion de la matière de Bretagne au Moyen Âge. À l’époque de la conquête normande de l’Angleterre, les habitants de Grande et de Petite Bretagne partagent vraisemblablement la même langue et les mêmes mythes, résultat de huit siècles d’échanges et de migrations. Marie de France dit s’inspirer de traditions orales bretonnes pour ses lais, en particulier le lai breton de Bisclavret (moyen-breton désignant le loup-garou) et celui de Laüstic. Ces motifs bretons sont modifiés littérairement pour être adaptés au public chrétien de l’époque :

« Quant de lais faire m’entremet, ne voil ublïer Bisclaveret. Bisclaveret ad nun en bretan, Garwaf l’apelent li Norman. Jadis le poeit hume oïr e sovent suleit avenir, humes plusurs garual devindrent e es boscages meisun tindrent […] » — Marie de France, Bisclavret (xiie siècle)

Si certains spécialistes n’y voient pas de motifs spécialement celtiques, pour Bernard Sergent, tous les lais de Marie de France sont d’origine bretonne. Le comparatisme interceltique avec des textes irlandais et gallois plus anciens offre des thèmes similaires. Marie de France parle elle-même des lais de Petite Bretagne, donne des noms bretons à ses personnages et utilise certains mots de la langue bretonne, ce qui laisse deviner l’existence d’une « littérature bretonne perdue » et donc d’un fond légendaire oral « aussi riche que l’Irlande et le Pays de Galles contemporains », dans lequel elle a puisé son inspiration. L’histoire de Tristan et Iseut, bien que diffusée à l’écrit par des Normands, est d’origine bretonne ou cornique. Les grandes familles de la noblesse bretonne, qui se disaient déjà descendantes de Conan Mériadec, revendiquent la possession de terres arthuriennes au xve siècle. Le roman de Ponthus et Sidoine, dernier roman arthurien ayant Brocéliande pour cadre, conte une légende vraisemblablement créée de toutes pièces à la demande de Geoffroi de La Tour Landry ou de la famille de Laval, pour attribuer la fondation de Paimpont au chevalier de Ponthus. L’écriture de ce roman semble avoir été commandée pour asseoir la légitimité de ces Nobles sur cette partie de la Bretagne66. Reconnaissant en leur terre de Brecilien le Brecheliant du Roman de Rou, les Laval déclarent détenir la fontaine de Barenton en 1467 et se proclament seigneurs de Brocéliande. En 1475, les Rohan affirment descendre d’Arthur et posséder le château de la forêt de Goelforest (château de la Joyeuse Garde), « où le roi Arthur tenait sa cour », à Landerneau. Une tradition reprise dans le Parzifal de Wolfram von Eschenbach place la cour légendaire de Camelot à Nantes.

Celtomanie

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Le placement du Val sans retour est vraisemblablement une invention celtomane.

La celtomanie, idéologie et mode littéraire plaçant les Celtes à l’origine de la civilisation européenne, se développe assez tardivement en Bretagne. Son point d’origine est la traduction des poèmes « bardiques » d’Ossian en 1762, depuis le gallois69. Son développement semble favorisé après la Révolution française, en réaction au changement de statut de la province bretonne. En 1799, Jacques Cambry témoigne de son intérêt pour la « religion druidique ». La celtomanie se manifeste par un syncrétisme entre mythes, légendes et Histoire, accordant une immense importance aux Celtes, tendant à voir des vestiges celtiques partout. Les Celtes n’ayant laissé aucun écrit direct, il est d’autant plus difficile d’obtenir des preuves dans ce domaine.

Certaines « légendes bretonnes », en particulier au xixe siècle, sont vraisemblablement des inventions d’érudits celtomanes. Celle qui est attachée au Val sans retour est un exemple, car la localisation physique de ce lieu légendaire a été déplacée près de Tréhorenteuc après le développement des forges de Paimpont, pour que le nouveau Val corresponde à un espace sauvage, préservé et pittoresque.
Des doutes subsistent concernant l’assimilation de la forêt de Paimpont à la forêt légendaire de Brocéliande, car elle s’appuie sur des éléments sujets à caution, notamment l’habitude qu’ont les paroissiens de Concoret de venir demander la pluie lors de processions, mise en relation avec la fontaine de Barenton des récits arthuriens. Les celtomanes du début du xixe siècle font d’un dolmen en ruines le tombeau du « druide » Merlin, alors que les recherches ultérieures le datent au Néolithique. Françoise Morvan attribue ces dérives celtomanes à la défense du nationalisme breton, en citant notamment 

Arthur de La Borderie : « Les vieux chants populaires de notre province ont gardé la tradition des circonstances spéciales qui firent éclater enfin ce mouvement mémorable, et donnèrent le premier branle à cette grande et juste guerre de l’indépendance bretonne. ». Les celtomanes ont cependant le mérite d’avoir ouvert la voie à des recherches plus sérieuses.

Certains auteurs plus récents peuvent être qualifiés de « celtomanes », dans la mesure où les chercheurs universitaires ne trouvent aucun élément pour étayer leurs affirmations. Alexis Léonard cite ainsi Jean Markale, Yann Brékilien et des membres de la Gorsedd de Bretagne (notamment Gwenc’hlan Le Scouëzec) comme sujets à la celtomanie. Il cite aussi Paul-Yves Sébillot, pour qui les druidesses de l’Antiquité sont devenues des fées bretonnes.

Collectages

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Gravure des Merveilles de la nuit de Noël d’Émile Souvestre, 1844. On y reconnaît notamment la charrette de l’Ankou, des fées et des lutins.

Au xviiie siècle, les superstitions et les rites des Bretons sont mentionnés de façon éparse dans des récits et chroniques de voyageurs, sans cohérence. Le père Grégoire de Rostrenen cite dans son dictionnaire paru en 1732 des traductions en breton des mots lutin, esprit follet et nain, distinguant trois types de créatures. Jacques Cambry signale la présence de « génies appelés Teuss » près de Morlaix, et de « folets » exécutant les travaux de la maison, en 174979. Il devient l’un des pionniers dans la collecte des éléments concernant les légendes de Bretagne. Chargé après la Révolution française de faire l’inventaire du patrimoine du Finistère, en 179480, il cite la croyance au Teus ou Buguel-nos et aux courils danseurs à Douarnenez. Le mot « lutin » n’est pas employé, ils sont cités comme étant des « génies » ou des « esprits ». Quelques lettrés issus de la noblesse prennent l’habitude de noter les récits populaires et de les échanger entre eux dans les années 1810 et 1820. De 1823 à 1831, la revue Le lycée Armoricain contient des récits fantastiques rassemblés par des notables Bretons. Dans les années 1830, l’identité bretonne vit un renouveau sous l’action d’écrivains bretons installés à Paris, qui puisent notamment dans la matière de Bretagne. Leur succès correspond à une attente de l’époque, favorable aux mouvements nationalistes. Ils contribuent à forger l’image stéréotypée de la Bretagne « pittoresque ».

Après les dérives des celtomanes et la controverse sur l’authenticité des chants du Barzaz Breiz, les collecteurs des traditions populaires bretonnes s’attachent à retranscrire plus fidèlement les récits des conteurs. François-Marie Luzel et son élève Anatole Le Braz y accordent une grande importance.

Dès sa création en 1900 sous la présidence de Charles Brun, la Fédération régionaliste française a parmi ses vocations celle de sauver les folklores locaux. L’Union régionaliste bretonne, présidée par Anatole Le Braz, a cette mission dès sa création. Yves Berthou, membre de l’URB, témoigne de son amour pour cette « religiosité lointaine, que l’on appelle d’un si vilain mot, superstition ». Comme Le Braz, il fait partie des membres fondateurs de la Gorsedd de Bretagne, dont il devient le Grand Druide de 1903 à 1933 sous le nom de Kaledvoulc’h84. L’abbé François Cadic (1864-1929), né à Noyal-Pontivy, est moins connu que ses prédécesseurs, mais a rassemblé une centaine de contes et légendes. Avec J. M. Cadic, Loeiz Herrieu et Yves Le Diberder, il fait partie des grands collecteurs du pays vannetais. Henri Guillerm s’occupe du sud de la Cornouaille, Lucien Decombe et Adolphe Orain complètent le travail magistral de Sébillot pour la Haute-Bretagne86. En 1912, Yves le Diberder fonde la revue Brittia, pour publier notamment des recherches sur le folklore breton. Le rôle des collecteurs de Bretagne est fondamental dans la connaissance des traditions :

« Nombreux étaient les chercheurs, patients et attentifs à l’âme bretonne, qui puisèrent à pleins carnets dans la connaissance populaire : La Villemarqué, Souvestre, Sébillot, Luzel, Le Braz enfin… On pouvait alors trouver dans les villages une profusion de sachants qui propageaient, de bouche à oreille, de pures connaissances venues des temps celtiques, à la trame encore intacte malgré les interprétations et les déviations apportées par la religion chrétienne. »

— Claude Seignolle, Préface dans La légende de la mort d’Anatole Le Braz

La métamorphose est un thème fréquent des contes (et légendes) préservés, qui ont pour vocation d’aider à éduquer les jeunes enfants. Les grands collecteurs bretons et l’intérêt pour les traditions populaires disparaissent après la Première Guerre mondiale, une époque marquée par le « complexe de Bécassine ».

Émile Souvestre

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Émile Souvestre (1806-1854), précurseur en matière de collectage, publie une série d’articles sur les traditions orales de Basse-Bretagne dès 1833, dans la Revue des deux Mondes. C’est probablement lui qui donne à La Villemarqué l’idée de rassembler les chants du Barzaz Breiz, en plus de faire découvrir les traditions orales bretonnes à un large public. La publication de ses « poésies populaires de la Basse-Bretagne » en 1834, puis des Derniers Bretons (1836), suivie en 1844 du Foyer breton, premier recueil en prose narrative, est beaucoup commentée par les intellectuels de son époque. Souvestre arrange les récits « trop rustiques » pour s’adapter à son public. Théodore Hersart de La Villemarqué fait de même. Le conte le plus célèbre du recueil Le Foyer breton, « Les korils de Plaudren », donne des détails sur l’habitude qu’a le petit peuple de se rassembler pour danser et chanter une chanson tronquée des derniers jours de la semaine.

Théodore Hersart de La Villemarqué

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La Villemarqué transcrivant une chanson à 30 ans, par Ernest Boyer

La Villemarqué (1818-1895) est surtout connu à travers son œuvre monumentale, le Barzaz Breiz, recueil de chansons bretonnes. Une controverse demeure, concernant la fiabilité de ses collectagesNote . Il semble en avoir arrangé le contenu. Son intention de promouvoir les légendes de la Bretagne est très claire, il écrit d’ailleurs « le roi Arthur n’est pas mort ! » dans l’introduction du Barzaz Breiz. Ce recueil contient des fragments de la mythologie bretonne, permet d’insérer la région dans son passé celtique et révèle l’existence d’une mythologie commune avec l’île de Grande-Bretagne. Il offre une vision préchrétienne de la région, ancrée symboliquement dans la nature.

La diffusion de l’œuvre de La Villemarqué coïncide avec le début des collectages de « traditions celtiques » en Bretagne, le Barzaz Breiz et lui-même contribuent nettement à forger l’image d’une « Bretagne celtique ». En 1845, La Villemarqué fait paraître une nouvelle édition enrichie de « balades historiques » qu’il fait remonter à la fin de l’Antiquité, notamment une concernant la ville d’Ys. Il contribue aussi au développement de l’interceltisme en mettant en avant des points communs entre les croyances bretonnes et celles de l’Irlande et du Pays de Galles, en ce qui concerne entre autres les korrigans et leurs équivalents irlandais ou gallois. La huitième édition comporte de nombreuses traditions relatives aux nains, aux fées, ou encore à Merlin.

François-Marie Luzel (1821-1895) collecte essentiellement en Basse-Bretagne. Ce fils de paysans, brittophone de naissance, rassemble dans un premier temps les airs de chants qu’il a hérités de son oncle Maurice Duhamel, en 1843100. Il rassemble lui aussi des chansons et travaille sur le théâtre breton. Il est surtout connu pour son rôle dans la controverse du Barzaz Breiz. Il publie De l’authenticité des textes du Barzaz Breiz en 1872, remettant en cause les collectages de La Villemarqué sur la base de la comparaison avec ses propres collectages de chants en Basse-Bretagne101. D’après Françoise Morvan, « il est dès lors considéré comme républicain et mis au ban ».

Son travail de collecte des contes populaires débute à Noël 1868, lorsqu’il reçoit l’autorisation de mener une mission pour la « mythologie comparée des peuples celtiques ». La première édition de ses contes bretons, très respectueuse des versions populaires, paraît en 1870. Pour Paul Delarue, ce livre ouvre l’âge d’or du conte en France. En 1881, Luzel rejoint les éditions Maisonneuve fondées par Sébillot.

Au décès de Luzel, Anatole Le Braz récupère des milliers de notes manuscrites issues de son travail de collecte et les dépose dans une bibliothèque 25 ans après.

Paul Sébillot (1843-1918), né à Matignon, découvre sa vocation de collecteur en 1860, en lisant Le Foyer breton de Souvestre. Il y redécouvre des contes entendus pendant son enfance, lorsque la bonne de sa famille, Vicente, s’occupait de lui. À l’époque, il n’existe aucun collectage en pays Gallo, la Haute-Bretagne étant considérée comme dépourvue d’une culture bretonne spécifique. Après des études dans la peinture, Sébillot rencontre Luzel dans le cadre de son militantisme républicain. Luzel lui transmet sa rigueur dans les collectages, consistant à noter scrupuleusement le lieu, la date et le nom du conteur. Il réalise ses premières collectes à partir de 1878, puis en 1880, décide d’en faire sa vocation. Au cours d’un dîner de chercheurs, il crée la Société des traditions populaires et la revue du même nom, en 1886. Cette revue devient un important média de publication d’études sur le folklore, de même que la maison d’édition qu’il crée, Maisonneuve. En plus de ses très nombreux collectages en Haute-Bretagne à la fin du xixe siècle, rassemblant des centaines de récits, Sébillot fait l’inventaire des traditions populaires francophones. Traditions et superstitions en Haute-Bretagne paraît en 1882, suivi par trois recueils de contes populaires de Haute-Bretagne, entre 1880 et 1883. Les informations de collecte sont rigoureusement notées et ces récits respectent la langue orale. Dans ses préfaces, Sébillot témoigne de sa volonté de prouver que la littérature orale de Haute-Bretagne est aussi riche et intéressante que celle de Basse-Bretagne.  

Anatole Le Braz (1859-1926) est un fils d’instituteur républicain, disciple d’Ernest Renan et de Luzel, ami de nombreux intellectuels de son époque. Militant très tôt pour la langue bretonne, c’est aussi un fervent féministe et le cofondateur du mouvement breton, en 1898. Charles le Goffic, vraisemblablement, le pousse à se tourner vers la matière de Bretagne vers 1883, alors qu’il vit à Paris. Ses Vieilles histoires du pays breton paraissent en 1892. Cependant, son chef-d’œuvre reste, à 34 ans, La légende de la mort chez les Bretons armoricains, publié en 1893, qui dévoile de très nombreux récits autour du personnage de l’Ankou en Basse-Bretagne.

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